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À propos de l’auteur

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Nestor Cisneros, MD

Le Dr Nestor Cisneros est allergologue et exerce à l’Hôpital des enfants de Winnipeg ainsi qu’en cabinet privé. Il a accompli sa résidence en pédiatrie et obtenu une bourse de recherche pour poursuivre ses études en allergie et immunologie clinique à l’Université du Manitoba. Il est professeur adjoint à l’Université du Manitoba ainsi que l’ancien directeur du programme de formation en allergie et formation clinique à l’Hôpital des enfants.

Hypersensibilité Aux Piqûres D’insectes

Avec l’arrivée du printemps et de l’été, et la tendance des gens à consacrer plus de temps à des activités à l’extérieur, il est opportun de parler de l’hypersensibilité aux piqûres d’insectes. Les patients qui ont des antécédents de réactions allergiques aux piqûres d’insectes sont particulièrement nerveux, et en particulier les patients atteints de troubles mastocytaires pour qui les piqûres d’insectes représentent un risque de réactions ultérieures potentiellement fatales. Il est essentiel que les cliniciens soient en mesure de fournir des informations sur les options de traitement disponibles. Le présent article porte sur l’approche du diagnostic et du traitement de l’hypersensibilité aux piqûres d’insectes. 

RÉACTION INDÉSIRABLE AUX PIQÛRES D’INSECTES

Il existe deux types fondamentaux de réactions aux piqûres d’insectes médiées par l’IgE. Le premier type est une réaction locale marquée (RLM) caractérisée par un oedème adjacent au site de la piqûre. Cet oedème augmente de taille pendant les 24 à 48 heures suivantes et disparaît entre 3 et 10 jours plus tard.1 Il n’existe aucune définition universelle d’une RLM, mais l’oedème peut avoir un diamètre supérieur à 10 cm autour du point de la piqûre et affecter entièrement le bord. Cette réaction locale peut entraîner une lymphangite, souvent confondue avec la cellulite. Elle peut être distinguée de la cellulite par sa survenue rapide (après 1 ou 2 jours) et aussi par l’absence de fièvre ou d’autres marqueurs d’infection, tels qu’une augmentation des taux de globules blancs, ou neutrophilie. Le risque d’une réaction systémique chez les patients qui présentent une réaction locale marquée est inférieur à 10 %.1 En général, une RLM n’est pas dangereuse, mais peut avoir des répercussions importantes sur les tissus touchés en raison de l’oedème local. Une exception est cependant une regrettable piqûre survenue accidentellement dans la partie orale du pharynx. Une femme de 30 ans qui avait été piquée au niveau du palais supérieur après bu une canette de soda contenant un insecte est arrivée au service des urgences deux heures plus tard. Elle présentait un oedème important au niveau de la partie orale du pharynx et l’enflure qui s’étendait progressivement à la région oropharyngée compromettait les voies aériennes.

Les réactions systémiques (RS) sont caractérisées par des signes et symptômes à distance du point de piqûre initial. Ces réactions peuvent en outre être classées en réactions cutanées (RC) et réactions anaphylactiques. Les RC se définissent habituellement par un prurit généralisé, des bouffées vasomotrices, une urticaire et un angio-oedème. Elles surviennent couramment chez les enfants, mais sont rares chez les adultes. L’anaphylaxie touche différents systèmes, dont la peau (urticaire, angio-oedème, bouffées vasomotrices et prurit), le système gastro-intestinal (déglutition difficile ou douloureuse, nausées, vomissements, diarrhée et crampes abdominales), l’appareil respiratoire (bronchospasme, toux, détresse respiratoire, obstruction des voies supérieures et inférieures), le système cardiovasculaire (hypotension) et entraîne parfois des symptômes neurologiques (perte de conscience, etc.). Les symptômes cardiovasculaires et respiratoires sont un problème grave et potentiellement fatal pour le patient. Les RS surviennent généralement dans un délai de 20 minutes chez 75 % des patients et de 40 minutes dans 87 % des cas d’anaphylaxie causée par une piqûre d’insecte. L’oedème laryngé et le collapsus vasculaire sont les causes les plus fréquentes de décès par réaction anaphylactique à une piqûre d’insecte, et la moitié des réactions fatales se produit chez les personnes sans antécédents de réaction systémique à une piqûre d’insecte.1,2

HISTOIRE NATURELLE

Il est primordial de définir le type de réaction allergique dans les réactions aux piqûres d’insectes. Les antécédents de réaction permettront la pose d’un diagnostic plus adéquat et une approche claire du patient pour le conseiller sur son risque de réactions ultérieures.

Certaines personnes présentent une sensibilisation asymptomatique et leur risque de RS ultérieures est faible (estimé entre 5 % et 15 %). Malheureusement, on ne dispose d’aucun test de diagnostic capable de prédire les réactions ultérieures dans cette population autre que la mesure des taux de tryptase sérique initiaux. Il convient de noter que des taux élevés de tryptase sérique ont des implications pronostiques, avec un risque accru de RS aux piqûres d’insectes dans le futur et une absence de réponse à une immunothérapie au venin (ITV).1 Par conséquent, il n’est pas recommandé d’examiner ces patients sans connaître leurs antécédents de réaction.3

Les patients présentant des antécédents de RLM sont exposés à un risque de réaction systémique d’environ 4 % à 15 % en cas de nouvelle piqûre et certaines de ces réactions peuvent être graves.4

Chez les patients présentant des antécédents de RS, le risque d’une anaphylaxie ultérieure aux piqûres est compris entre 40 % et 60 %. La gravité de la réaction dépendra de la gravité de la réaction précédente. Les personnes ayant présenté une réaction grave sont davantage exposées à une réaction grave ultérieure.5 Parmi les patients présentant des antécédents de RC, le risque de RS ultérieure est approximativement de 10 % et celui d’une réaction plus grave est de 3 %.5

Le risque de RS ultérieure est associé à des taux élevés de tryptase, à l’utilisation de médicaments antihypertenseurs (c.-à-d. d’inhibiteurs de l’ECA), à l’âge, à la profession d’apiculteur, et aux piqûres multiples ou en séquence (espacées de quelques semaines ou mois). Un autre problème auquel les cliniciens peuvent être confrontés en pratique clinique est le degré de sensibilité (test cutané ou mesure du taux d’IgE spécifique sérique) qui est corrélé avec la fréquence des réactions plutôt que la gravité. Ce point est important, car de nombreux patients pensent que plus la taille du test cutané est grande, plus la probabilité d’une réaction plus grave est élevée.3

CLASSIFICATION DES RECOMMANDATIONS ET PREUVE1
Gradation des recommandations
Catégorie de preuve
  • Ia Preuve issue de la méta-analyse d’essais randomisés et contrôlés
  • Ib Preuve issue d’au moins un essai randomisé et contrôlé
  • IIa Preuve issue d’au moins une étude contrôlée sans randomisation
  • IIb Preuve issue d’au moins un autre type d’étude quasi expérimentale
  • III Preuve issue d’études descriptives non expérimentales, telles que des études comparatives
  • IV Preuve issue de rapports de comités d’experts, ou opinions ou expériences cliniques d’autorités respectées, ou les deux
 
Force de la recommandation
  • A Reposant directement sur la preuve de catégorie I
  • B Reposant directement sur la preuve de catégorie II ou recommandation extrapolée de la preuve de catégorie I
  • C Reposant directement sur la preuve de catégorie III ou recommandation extrapolée de la preuve de catégorie I ou II
  • D Reposant directement sur la preuve de catégorie IV ou recommandation extrapolée de la preuve de catégorie I, II ou III
  • BL Basée sur l’analyse de laboratoire.
  • NE Non évaluée

PRÉVENTION D’UNE RÉACTION AUX PIQÛRES D’INSECTES/D’UNE RÉACTION ALLERGIQUE

Plusieurs mesures efficaces ont été recommandées pour les patients présentant des antécédents de RS (recommandation : preuve D) :

  1. Mesures pour éviter les piqûres d’insectes2
    a. Éviter au maximum de préparer, cuire ou manger à l’extérieur
    b. Éviter au maximum les plantes à fleurs
    c. Éviter au maximum de boire avec des pailles, dans des canettes ou des bouteilles à l’extérieur
    d. Éliminer les fruits tombés dans les aires où l’on se repose
    e. Fermer les poubelles
    f. Prêter attention aux nids dans les buissons ou le sol lorsque l’on tond ou que l’on fauche
    g. Éviter de marcher pieds nus (recommandation : preuve D)
  2. Entretien sur le besoin d’accéder à un auto-injecteur d’épinéphrine sans oublier les informations sur son indication et son utilisation (recommandation forte : preuve C)
  3. Orientation pour une évaluation par un allergologue/immunologiste aux fins d’un diagnostic et d’un traitement à long terme (recommandation forte : preuve D)

L’un des entretiens importants à mener avec les patients concerne l’utilisation d’un auto-injecteur d’épinéphrine. Lors d’une consultation avec les patients, il est important de mettre l’accent sur la raison et le moment de disposer de l’auto-injecteur. Bien que cette mesure relève de la prudence chez les patients à haut risque de réactions ultérieures, elle constitue aussi un poids pour eux, notamment le désagrément, le coût et la crainte d’utilisation qui accompagne la prescription d’épinéphrine.6 À la lumière d’expériences anecdotiques, les patients présentant des antécédents d’anaphylaxie causée par des piqûres d’insectes et recevant une ITV ont une meilleure qualité de vie que les patients qui utilisent un auto-injecteur d’épinéphrine. Chez les patients présentant des antécédents de réactions locales marquées ou de RC, le risque d’une réaction systémique/anaphylactique est faible, et il est important de discuter avec eux de ce faible risque d’anaphylaxie afin qu’ils puissent prendre une décision éclairée sur la nécessité de disposer d’un auto-injecteur d’épinéphrine pour leur propre sécurité.

QUI A BESOIN D’UNE IMMUNOTHÉRAPIE AU VENIN?

L’un des seuls types d’anaphylaxie où une ITV se révèle très efficace est l’anaphylaxie causée par les piqûres d’insectes. Une ITV est indiquée en cas d’antécédents d’anaphylaxie causée par des piqûres d’insectes associés à une preuve d’allergie obtenue par un test cutané positif (injection intradermique de venin) ou la présence d’IgE spécifique de venin. Les cliniciens ne doivent pas oublier qu’un test intradermique positif ne prédit pas la gravité des réactions ultérieures aux piqûres Il est souvent demandé à l’allergologue d’examiner les patients dont certains membres de leur famille ont eu des réactions graves ou fatales aux piqûres. Il n’existe pas actuellement de données probantes indiquant une augmentation du risque d’allergie aux piqûres d’insectes (API) chez des membres de la famille au premier degré de ces patients. De plus, la réalisation d’un test chez des membres de la famille sans antécédents de piqûres d’insectes peut mener à un surcroît d’anxiété et une incidence négative sur leur qualité de vie. Pour les patients présentant des RC et RLM, une immunothérapie au venin n’est pas indiquée, car le risque de réaction anaphylactique plus grave reste faible. Cependant, pour ceux chez qui les expositions sont fréquentes et les réactions mènent à une dégradation de la qualité de vie, une ITV peut permettre une réduction de l’oedème local et représenter un bienfait pour le patient affecté.

Chez les patients ayant des antécédents lointains de RS graves, le risque relatif ne diminue pas avec le temps. Un enfant qui ne reçoit pas une ITV peut présenter des réactions systémiques dans un délai de 20 années en cas de nouvelle piqûre.7 Ce fait important semble indiquer la nécessité d’une réévaluation de l’allergie au venin avec la possibilité d’une ITV.

La détection des anticorps IgE spécifiques sériques est moins sensible que le test cutané. Toutefois, dans les situations où un test cutané au venin n’est pas une option, c.-à-d. en cas de dermatite atopique grave ou d’utilisation chronique de médicaments concomitants (antihistaminiques), une mesure du taux d’IgE spécifique sérique peut être la seule façon d’évaluer l’allergie. Finalement, les antécédents cliniques du patient demeurent la base pour orienter et éclairer la meilleure pratique thérapeutique. Parallèlement, il existe de nombreux facteurs susceptibles de produire un test cutané négatif chez une personne bien qu’elle ait des antécédents positifs. Ces facteurs sont notamment des affections systémiques telles que la mastocytose. La mastocytose se manifeste par de graves réactions allergiques systémiques et une augmentation du taux de tryptase sérique. Les patients atteints de mastocytose présentent un risque accru de réactions anaphylactiques ultérieures graves, y compris durant la désensibilisation sous forme d’injection ITV. En conséquence, ces patients sont exposés à un échec thérapeutique et/ou une augmentation du taux de rechute si l’ITV est arrêtée. La mastocytose peut survenir chez 2 % des patients présentant une anaphylaxie causée par des piqûres d’insectes.1 Les cliniciens devraient envisager une mesure du taux de tryptase sérique chez les patients qui ont eu une réaction grave ayant menacé leur pronostic vital, une hypotension et chez les patients dont le test d’allergie cutané s’est révélé négatif (antécédents positifs).1

IMMUNOTHÉRAPIE AU VENIN ET AUTO-INJECTEUR D’ÉPINÉPHRINE

L’ITV réduit considérablement le risque de RS ultérieures (plus de 95 %) chez les personnes sensibilisées. Après confirmation du diagnostic d’API, une ITV devrait être recommandée. Une immunothérapie au venin d’abeille, de guêpe jaune, de frelon et autres vespidés est une approche extrêmement efficace chez les patients présentant des RS aux piqûres. Elle diminue le risque d’anaphylaxie induite par les piqûres à moins de 5 % chez les patients qui la reçoivent contre 60 % chez les personnes non traitées.1 Ces patients devraient naturellement être informés de l’objectif du traitement, à savoir la prévention d’une réaction anaphylactique grave. L’ITV permet également d’ atteindre les objectifs secondaires visant à la réduction de l’anxiété entourant les réactions aux piqûres d’insectes.1 Ces patients devraient continuer à disposer d’un auto-injecteur d’épinéphrine.

Chez les personnes ayant un faible risque de réaction anaphylactique systémique, notamment les patients présentant une RLM ou une RC pour laquelle le risque d’anaphylaxie reste inférieur à 5 % en cas de nouvelles piqûres, le dilemme clinique est d’établir si ces patients ont besoin d’une ITV. Parfois cette décision peut être déconcertante pour les patients chez qui une immunothérapie au venin n’est pas recommandée, mais qui ont accès à un auto-injecteur d’épinéphrine. La prescription d’un auto-injecteur d’épinéphrine peut entraîner une perte de qualité de vie chez les patients7 et une discussion reposant sur un modèle décisionnel commun impliquant le patient et sa famille pourrait permettre de mieux répondre à cette situation.

La recommandation actuelle sur l’IVT est un traitement pendant 3 à 5 ans (recommandation forte ; preuve B). Cependant, certains facteurs de risque peuvent nécessiter le besoin d’envisager une ITV à vie, comme chez les patients ayant eu une réaction grave avant l’ITV (importante détresse respiratoire, hypotension, ou syncope, etc.), une réaction systémique durant l’ITV, une allergie aux abeilles et une augmentation du taux de tryptase sérique (recommandation forte; preuve C).1

Les réactions allergiques aux piqûres d’insectes peuvent être potentiellement fatales et avoir une répercussion négative sur la vie des personnes affectées. Il est essentiel de ne pas oublier l’importance de la prise de décision commune avec les patients et leur famille, et de proposer une ITV aux personnes jugées à haut risque de réactions allergiques systémiques. L’ITV est un traitement efficace pour réduire le risque ultérieur de réaction anaphylactique grave susceptible de menacer le pronostic vital. Aider les patients à s’aventurer dehors est une amélioration importante de la qualité de vie que les allergologues sont en mesure de leur offrir. L’hypersensibilité aux piqûres d’insectes est une grande source d’anxiété et aider les patients à la surmonter peut être extrêmement gratifiant.

Références 

1.Golden DBK, Demain J, Freeman T, et al. Stinging insect hypersensitivity: A practice parameter update 2016. Annals of Allergy, Asthma and Immunology. 2017;118(1):28-54. doi:10.1016/j.anai.2016.10.031 

2. Simons FER. Anaphylaxis. Journal of Allergy and Clinical Immunology. 2010;125(2 SUPPL. 2). doi:10.1016/j.jaci.2009.12.981 

3. Sturm GJ, Kranzelbinder B, Schuster C, et al. Sensitization to Hymenoptera venoms is common, but systemic sting reactions are rare. Journal of Allergy and Clinical Immunology. 2014;133:1635-1643.e1. doi:10.1016/j. jaci.2013.10.046 

4. Mauriello PM, Barde SH, Georgitis JW, Reisman RE. Natural history of large local reactions from stinging insects. The Journal of Allergy and Clinical Immunology. 1984;74(4 PART 1):494-498. doi:10.1016/0091- 6749(84)90384-1 

5. Golden DBK. Anaphylaxis to Insect Stings. doi:10.1016/j.iac.2015.01.007 

6. Oude Elberink JNG, van der Heide S, Guyatt GH, Dubois AEJ. Analysis of the burden of treatment in patients receiving an EpiPen for yellow jacket anaphylaxis. Journal of Allergy and Clinical Immunology. 2006;118(3):699-704. doi:10.1016/j.jaci.2006.03.049 

7. Golden DBK, Kagey-Sobotka A, Norman PS, Hamilton RG, Lichtenstein LM. Outcomes of Allergy to Insect Stings in Children, with and without Venom Immunotherapy. Vol 12.; 2004. www.nejm.org