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À propos de l’auteur

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Collin Terpstra, M.D.

Le Dr Collin Terpstra est un médecin praticien dans un cabinet communautaire de l’extérieur de la région de Waterloo. Ses domaines d’intérêt clinique comprennent les allergies alimentaires traitées dans une clinique d’immunothérapie orale spécialisée à l’hôpital Grand River de Kitchener; les allergies médicamenteuses traitées dans une clinique de l’hôpital général de Stratford; les produits biologiques et l’urticaire. Il est professeur auxiliaire à l’Université McMaster où il a également terminé sa bourse de recherche en allergologie et en immunologie clinique, en plus d’avoir obtenu un baccalauréat en éducation de l’Université Western. Il est le fier récipiendaire du prix JB Walker et du précepteur spécialiste de l’année du Centre for Family Medicine. Il est actif dans son domaine de spécialité et membre de la Société Canadienne d’Allergie et d’Immunologie Clinique, de l’ACAAI et de l’AAAAI.

Réintroduction des aliments dans des cas de SEIPA

INTRODUCTION

Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA) s’inscrit dans le spectre des allergies alimentaires non médiées par les IgE. Son diagnostic repose sur un examen clinique axé sur des antécédents reproductibles évocateurs de ce syndrome. Les lymphocytes T sont les médiateurs probables du SEIPA; on soupçonne également un mécanisme neuro-endocrinien, mais nous sommes encore très loin de saisir la physiopathologie du SEIPA. Le SEIPA consiste en une réaction gastro-intestinale d’apparition tardive, généralement de 1 à 4 heures après l’ingestion, dont la durée et la gravité des symptômes peuvent varier. Il peut se manifester par l’un des symptômes suivants ou une association de ceux-ci : vomissements en fusée, diarrhée, douleur abdominale, léthargie, teint pâle et grisâtre, hypotension, et même hypothermie. Les plaintes d’urticaire et de nature respiratoire ne sont pas caractéristiques de ce syndrome. N’importe quel aliment peut être un déclencheur, et le syndrome peut toucher des sujets de n’importe quel âge, bien qu’il soit plus fréquent chez les enfants. Les cliniciens doivent soupçonner un SEIPA chez tout patient présentant des antécédents constants et reproductibles lorsque le sujet est en contact avec un aliment précis. En raison du manque de connaissances sur ce syndrome, celui-ci peut faire l’objet d’un diagnostic erroné, notamment dans la population adulte; par exemple, il peut être diagnostiqué à tort comme une intoxication alimentaire causée par des fruits de mer. Contrairement aux allergies médiées par les IgE, le SEIPA se résorbe habituellement plus tôt dans la population pédiatrique, à un âge moyen d’environ trois ans. Il existe d’excellentes ressources permettant de différencier le spectre des allergies alimentaires, notamment celles du spectre non médié par les IgE1-4.

La majorité des cas de SEIPA (65 à 80 %) sont relativement évidents lorsque le déclencheur est unique. Le SEIPA est plus difficile à distinguer chez les personnes sensibilisées à plus d’un déclencheur, ou lorsque l’allergène alimentaire est consommé sur une base régulière, donnant lieu à un SEIPA chronique. D’après les données empiriques, les aliments qui sont les plus susceptibles de déclencher le syndrome varient selon la géographie et l’âge du patient, alors que le SEIPA concerne souvent des aliments qui ne sont pas généralement perçus comme des allergènes courants. Le lait est de loin l’allergène le plus fréquent et le mieux établi dans les publications. Il n’existe aucun outil diagnostique objectif permettant de confirmer le SEIPA, à l’exception d’un test de provocation alimentaire en milieu clinique. Les épisodes aigus peuvent se traduire par des signes sérologiques comme une neutrophilie, une thrombocytose, une méthémoglobinémie ou une acidémie; les IgE peuvent être détectées par un test sérique spécifique ou un test de la piqûre épidermique. Il importe de noter que même en présence d’IgE, le SEIPA n’est pas médié par ces immunoglobulines. Aucun de ces tests n’est utile pour confirmer ou prévoir le SEIPA. Le seul traitement de ce syndrome consiste à éviter les aliments en cause, et il n’existe aucun autre algorithme thérapeutique établi. 

Le SEIPA chronique peut être plus insidieux et passe souvent inaperçu. Il peut se manifester par des changements dans la consistance des selles ou de la fréquence du transit intestinal; une constipation pouvant apparaître notamment après un épisode de diarrhée; un reflux pouvant nécessiter des médicaments pour sa prise en charge; une douleur gastro-intestinale pouvant entraîner des réveils nocturnes fréquents. En outre, les entéropathies risquent de perturber la croissance d’un enfant; si les courbes de croissance d’un enfant chutent significativement, ce phénomène peut s’expliquer par une malnutrition résultant d’une allergie alimentaire à médiation cellulaire. Dans les cas de SEIPA, le seuil d’une réaction peut être très faible. Bien que cette éventualité soit rare, une alimentation maternelle incluant l’aliment en cause peut suffire à déclencher des réactions chez les nourrissons les plus sensibles exclusivement nourris au sein5. Les cas avancés de SEIPA chronique peuvent entraîner des symptômes plus significatifs et des changements dans les analyses de laboratoire tels que la leucocytose, l’éosinophilie et même un retard très prononcé de la croissance. Dans ces situations, il est difficile de distinguer le SEIPA des entéropathies éosinophiliques ou des entéropathies provoquées par des protéines alimentaires. Il ne sera pas question ici de ces autres affections, mais elles pourraient s’inscrire le long d’un continuum ou d’un spectre d’allergies alimentaires non médiées par les IgE. 

L’objectif du présent article est d’informer les médecins sur une stratégie sûre et fiable d’introduction d’aliments dans le contexte du SEIPA. Cette méthode peut être employée pour confirmer le diagnostic dans un cas soupçonné, ou pour confirmer la persistance du SEIPA. Il est recommandé d’effectuer un test de provocation qui permettra de confirmer et d’établir un diagnostic, et d’éviter de devoir inutilement se priver d’aliments qui ne sont pas en cause2. En fin de compte, la décision d’effectuer un test de provocation revient au patient/à sa famille et au clinicien, notamment lorsque la réaction initiale a été sévère. Contrairement aux allergies médiées par les IgE, dans les cas de SEIPA, un test de provocation ne doit jamais s’inscrire dans le cadre d’un protocole thérapeutique; l’immunothérapie orale n’est pas applicable au SEIPA. L’immunothérapie orale (ITO) peut servir à traiter les allergies médiées par les IgE. Si un test de provocation alimentaire a provoqué une réaction, les cliniciens peuvent envisager de passer à l’ITO pour traiter l’allergie. Le SEIPA peut être symptomatique ou asymptomatique. En cas d’échec du test de provocation ou de la réintroduction alimentaire dans un cas de SEIPA, les cliniciens peuvent y mettre fin et faire une autre tentative ultérieurement.

RÉINTRODUCTION D’ALIMENTS

Il pourrait être préférable d’utiliser le terme « réintroduction » plutôt que « provocation » dans le contexte du SEIPA, car il devrait s’agir d’un processus plus lent.  Ci-dessous, je présente quatre éléments importants de la réintroduction alimentaire. La phase initiale de quiescence des symptômes d’un patient doit être clairement établie avant toute réintroduction. Si un SEIPA chronique est soupçonné, il est recommandé de reporter la réintroduction d’aliments; le meilleur traitement du SEIPA reste l’éviction et/ou l’élimination du ou des aliments en cause. Les cliniciens doivent savoir que le SEIPA chronique peut entraîner d’autres problèmes de santé si l’inflammation chronique devient un foyer morbide propice aux sensibilisations ultérieures, ou qu’elle retarde la résolution spontanée de l’affection.

1) LIEU les tests de provocation supervisés par un médecin sont caractéristiques; selon la gravité de la réaction initiale, il peut certainement être justifié de passer ces tests dans un milieu supervisé. Toutefois, des changements récents dans la manière de prodiguer des soins médicaux en contexte de pandémie ont fait en sorte que les tests de provocation en ligne sont plus fréquents et admissibles. Ces tests peuvent être effectués sans danger à condition que les familles/patients soient adéquatement informés des risques et des avantages, et si la réaction initiale n’est pas sévère4. Dans les cas de SEIPA, une réintroduction alimentaire à domicile pourrait mieux convenir étant donné que : 

a) À cause des contraintes de temps, les intervalles d’administration en cabinet médical ne sont pas pratiques puisque les symptômes peuvent prendre des heures à apparaître entre deux doses.  Il n’existe aucun consensus quant au délai que les patients devraient attendre entre l’administration de deux doses, car celui-ci varie selon les antécédents du patient.

b) Les patients pourraient être le plus à l’aise à leur domicile si une réaction devait se produire. Des vomissements ou une diarrhée prolongés peuvent durer des heures. Un patient présentant de tels symptômes ne serait pas du tout à l’aise dans les toilettes d’un cabinet occupé. 

c) Les réactions au test peuvent être gênantes vis-à-vis des autres patients et du personnel. Par ailleurs, le contact avec des liquides corporels peut exposer d’autres personnes à un risque, y compris le personnel chargé du nettoyage.

d) Aucun cas avéré de décès n’a encore été rapporté dans les publications relativement au SEIPA. 

e) La majorité des réactions se seront produites à domicile. Compte tenu de l’absence de traitement normalisé du SEIPA, et sachant que les réactions initiales utilisées pour établir le diagnostic clinique se seront forcément résolues spontanément, il devrait être raisonnable de présumer que la réintroduction alimentaire à domicile est sans danger.  

2) MOMENT : après avoir clairement évité l’aliment suspect, il est habituellement possible d’essayer de le réintroduire tous les 6 à 18 mois. Étant donné que le moment de la résolution spontanée varie, il n’existe aucune règle infaillible permettant de prévoir ce moment.   

a) Le risque d’ingestion accidentelle peut écarter la nécessité d’une réintroduction planifiée. Par exemple, le taux annuel moyen d’ingestion accidentelle d’arachides est de 12,4 % d’après une vaste cohorte canadienne6. L’ingestion d’arachides est un bon exemple de référence car il s’agit d’un allergène connu. Les aliments courants comme le soja ou le lait peuvent être plus susceptibles de faire l’objet d’une ingestion accidentelle, et peuvent de ce fait servir à assurer la planification de consultations de suivi tous les 6 à 12 mois dans la population pédiatrique, sachant qu’un grand nombre d’enfants y auront été exposés.       

b) Tout projet de réintroduction doit tenir compte de la nécessité d’un aliment particulier pour l’alimentation du sujet. Par exemple, les crevettes n’étant pas un aliment essentiel, il se peut qu’un adulte refuse d’y être exposé de manière intentionnelle. Pour planifier le moment de réintroduire un aliment, il faut tenir compte des contraintes nutritionnelles et budgétaires d’une famille puisque les régimes d’éviction peuvent occasionner des coûts additionnels si les substituts sont onéreux.    

c) Les réintroductions doivent être prévues en tenant compte des horaires de garderie, d’école ou de travail au cas où des symptômes surviendraient. 

3) CHOIX DE PRODUIT : 
a) Certaines protéines sont dénaturables, notamment celles faisant partie du spectre des aliments liquides du SEIPA. Les outils UK Milk Ladder et Egg Ladder sont des ressources très utiles et facilement accessibles concernant les protéines dénaturables. Chaque catégorie d’une échelle correspondrait à une réintroduction. 

b) En présence de plus d’un déclencheur, commencer par l’aliment le moins réactif d’après les antécédents du patient. La réintroduction réussie d’un aliment peu allergène peut également refléter une tolérance graduelle. 

c) La réintroduction réussie d’un aliment dans l’alimentation permet au patient et à sa famille d’élargir les choix alimentaires, en plus de leur procurer un sentiment d’accomplissement et de renforcement positif. Il est important d’éviter de commencer par un échec de la réintroduction alimentaire. 

d) Si possible, un seul produit doit être utilisé pour la réintroduction, par exemple un fromage au lieu de la pizza ou du lait de soya au lieu de croquettes de poulet. 

e) Il est aussi important d’utiliser un produit de base de l’alimentation (p. ex., un beurre d’arachide plutôt qu’une protéine d’arachide). Bien que la réaction provoquée sera due à la protéine, il est inutile d’isoler cette protéine pour effectuer une réintroduction. La modification des protéines peut changer la réactivité, comme l’indique l’échelle Dairy Ladder. 

f) Rarement, si l’allergène peut déclencher des symptômes par l’allaitement, il est tout à fait admissible d’entamer la réintroduction dans l’alimentation maternelle. Cette situation peut constituer une exception au chapitre de la planification d’une réintroduction beaucoup plus tôt pour éviter d’arrêter l’allaitement et/ou de restreindre l’alimentation maternelle.  

4) PROTOCOLE : il existe peu d’articles publiés montrant la façon optimale d’effectuer une provocation ou de réintroduire l’aliment à l’origine d’une allergie non médiée par les IgE. Un protocole adapté au SEIPA recommande une dose cible basée sur le poids de 0,06 à 0,6 g/kg de poids corporel3. La dose cible est fractionnée en trois mesures égales à consommer sur une période de 30 à 45 minutes, généralement sans dépasser un total de 3 g de protéines ou 10 g d’aliments en tout (100 mL de liquide). Notons que des doses inférieures sont utilisées dans les tests de provocation menés chez les patients ayant des antécédents de réactions sévères. En outre, ce protocole recommande d’installer un accès intraveineux et de mesurer la formule sanguine complète initiale avant le test de provocation. 

a) Commencer par des concentrations en dessous du seuil (dose la plus faible n’entraînant aucune réaction observée). Cette méthode permet de limiter la gravité des réactions, mais indique également au patient et à sa famille quelles concentrations sont admissibles dans l’alimentation. 

b) La dose initiale réelle doit être la plus faible possible, et peut dépendre de la concentration de protéine. Ce rapport sera différent entre le tofu et le lait de soya. Avec le tofu, même un simple contact sur la langue peut suffire à déclencher des symptômes. En général, 2 mg de protéines est un bon point de départ.

c) Les doses peuvent être multipliées par deux ou cinq à chaque intervalle, selon le poids ou le volume, en fonction du produit. Des analogies visuelles peuvent être utilisées, par exemple, la taille d’un grain de riz, d’une amande, d’une noix, etc.  Il peut être utile de remettre au patient ou à sa famille un document imprimé concernant les réintroductions alimentaires à domicile (figure 1).

d) Des essais peuvent être effectués pendant quelques jours seulement, avec une seule dose quotidienne. Les antécédents peuvent indiquer un délai d’apparition des symptômes après une heure environ; des symptômes plus légers peuvent apparaître plus tard lorsque les doses sont inférieures.

e) Si un protocole plus rapide est souhaitable, l’intervalle d’administration doit être le double de celui déjà utilisé chez le patient. Autrement dit, si le délai d’apparition d’une réaction était d’une heure après l’ingestion, administrer la dose toutes les deux heures.

f) Les réintroductions à domicile nécessitent une communication directe avec le médecin. Il faut avertir les familles et les patients de communiquer avec le cabinet du médecin en cas de symptômes. Il se peut que les symptômes plus légers passent inaperçus à domicile alors qu’ils seraient identifiables par un médecin. Le niveau réactogène le plus faible observé par le patient pourrait ne pas être aussi manifeste que lors de la ou des réactions antérieures. Une liste précise de symptômes à surveiller peut être fournie au patient ou à sa famille avant la réintroduction.

RÉSUMÉ

Le SEIPA est un syndrome fascinant dans le spectre des allergies alimentaires. Il est généralement caractérisé par des antécédents clairs et une reproductibilité. La réintroduction d’aliments suspects peut servir à confirmer le diagnostic ou la persistance du SEIPA, mais un protocole pragmatique et prudent est recommandé. La décision d’effectuer une réintroduction doit être prise conjointement avec le médecin et le patient/sa famille, et l’utilité de la réintroduction d’un aliment doit être clairement justifiée. Les risques associés à la réintroduction peuvent être mitigés par l’établissement judicieux du moment, du lieu et du rythme de réintroduction.

 

Références

1. Sampson, Hugh A., et al. “Food allergy: a practice parameter update—2014.” Journal of Allergy and Clinical Immunology 134.5 (2014): 1016-1025.

2. Panel, NIAID-Sponsored Expert. “Guidelines for the diagnosis and management of food allergy in the United States: report of the NIAID-sponsored expert panel.” Journal of Allergy and Clinical Immunology 126.6 (2010): S1-S58.

3. Leonard, Stephanie A., et al. “Management of Acute FPIES Emergencies at Home and in a Medical Facility.” Annals of Allergy, Asthma & Immunology (2021).

4. Bird, J. Andrew, et al. “FPIES Oral Food Challenge: Time for a Change?.” Annals of Allergy, Asthma & Immunology (2021).

5. Mack, Douglas P., et al. “Virtually-supported home peanut introduction during COVID-19 for at-risk infants.” The Journal of Allergy and Clinical Immunology: In Practice (2020).

6. Monti, Giovanna, et al. “Food protein-induced enterocolitis syndrome by cow’s milk proteins passed through breast milk.” Journal of allergy and clinical immunology 127.3 (2011): 679.

7. Cherkaoui, Sabrine, et al. “Accidental exposures to peanut in a large cohort of Canadian children with peanut allergy.” Clinical and translational allergy 5.1 (2015): 16.