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À propos de l’auteur

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Elissa Abrams, MD

Elissa Abrams est professeure adjointe, département de pédiatrie, division d’allergie et d’immunologie clinique, Université du Manitoba. Elle est également membre associée, département de pédiatrie, division d’allergie et d’immunologie, Université de Colombie-Britannique. Elle est présidente de la division d’allergie alimentaire / anaphylaxie de la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique.

Traitement De L’anaphylaxie Et Modifications Pendant La Covid-19

CONTEXTE

L’anaphylaxie est définie comme une réaction allergique grave d’apparition rapide et potentiellement fatale.1,2 La prévalence de l’anaphylaxie au cours de la vie est estimée entre 1,6 % et 5,1 %, les enfants et les adolescents représentant le nombre le plus élevé de cas incidents.3–5 La majorité des réactions anaphylactiques sont médiées par l’immunoglobuline-E (IgE) et sont principalement déclenchées par les aliments, les médicaments et le venin des piqûres d’insectes.6 Bien qu’il existe plusieurs définitions de l’anaphylaxie,2,7–9 celle-ci est généralement décrite comme l’atteinte de deux systèmes corporels, à laquelle sont associés certains symptômes cutanés, respiratoires, gastro-intestinaux et/ou cardiaques. Les symptômes cutanés sont de loin les plus fréquents et sont signalés dans plus de 80 % des cas d’anaphylaxie, suivis par les symptômes respiratoires et gastro-intestinaux.1

L’allergie alimentaire est l’une des affections chroniques les plus répandues de l’enfance et touche directement jusqu’à 10 % des enfants et indirectement jusqu’à 50 % de la population.10–12 Elle représente la cause la plus fréquente de l’anaphylaxie chez l’enfant.6 L’anaphylaxie est moins courante chez les nourrissons que chez les enfants.13 Alors que l’anaphylaxie peut menacer le pronostic vital, le risque lié à une anaphylaxie fatale est d’environ 1 cas sur 10 millions (ce qui est équivalent au risque d’être frappé par la foudre).14 Bien qu’ils soit essentiel de tenir compte de l’anaphylaxie et de la prendre en charge, le risque de mortalité est très faible. Les facteurs qui augmentent le risque de gravité et/ou de mortalité de l’anaphylaxie sont notamment des comorbidités telles que l’asthme, la mastocytose, les états hyperdynamiques dont l’activité physique et l’infection, l’utilisation concomitante de médicaments (c.-à-d. d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, ou ECA), et l’âge où on a tendance à prendre plus de risques (c.-à-d. l’adolescence).1,15

Les examens réalisés au moment d’une réaction anaphylactique comprennent la mesure des taux d’histamine plasmatique et/ou de tryptase sérique, quoique ni l’un ni l’autre ne soient spécifiques de l’anaphylaxie.1 En cas de suspicion d’anaphylaxie déclenchée par une allergie alimentaire, il est alors possible de réaliser un test par piqûre épidermique (TPE) et/ou une mesure du taux d’IgE spécifique d’une substance alimentaire (sIgE). Toutefois, tandis que les tests TPE et sIgE sont hautement sensibles (de 70 % à 90 %), leur spécificité reste faible (inférieure à 50 %).1,2 Le taux de tests faux positifs s’élève à 40 %.16 En conséquence, un test d’allergie alimentaire est de nature diagnostique dans le cadre de l’histoire anaphylactique en présence. Un test d’allergie cutané (TCA) devrait être réalisé lorsque des antécédents cliniques probants d’anaphylaxie causée par un allergène sont présents.17

L’anaphylaxie biphasique est définie comme la récurrence des symptômes dans les 72 heures qui suivent la résolution de la réaction initiale (quoique souvent ils se produisent dans les 8 heures) et survient chez 1 % à 20 % des patients.1,15,18,19 Les facteurs de risque de l’anaphylaxie biphasique comprennent des symptômes initiaux plus graves, la nécessité de plus d’une dose d’épinéphrine pour le rétablissement, un facteur déclenchant inconnu de l’anaphylaxie, et l’anaphylaxie causée par les médicaments dans la population pédiatrique.15

PRISE EN CHARGE DE L’ANAPHYLAXIE

Les lignes directrices recommandent systématiquement l’épinéphrine comme traitement de première ligne dans l’anaphylaxie.1 Les mécanismes bénéfiques et salvateurs de l’épinéphrine sont notamment dus à la réduction de l’angio-oedème laryngé, aux effets inotropes et chronotropes cardiaques, à la bronchodilation et à la vasoconstriction.1,16,20 Un retard d’utilisation de l’épinéphrine a été associé à une augmentation de la morbidité et de la mortalité.21 Malgré cela, les auto-injecteurs d’épinéphrine sont souvent sous-utilisés tant en termes de fréquence que du moment idéal où la réaction anaphylactique survient.22

Quiconque ayant des antécédents d’anaphylaxie devrait être informé sur la prévention contre les allergènes, la reconnaissance précoce et adéquate des signes et symptômes de la réaction anaphylactique, et devraient être orientés vers un allergologue.1,15 La prescription d’un auto-injecteur d’épinéphrine devrait toujours être accompagnée d’informations sur la technique et l’utilisation adéquates. Le cas où le facteur déclenchant était un médicament constitue une exception acceptable à la prescription d’un auto-injecteur d’épinéphrine et il est possible de reporter cette prescription dans l’attente de l’évaluation de l’allergie.15 Le port d’un bracelet d’alerte médicale est fortement conseillé en cas d’anaphylaxie causée par des médicaments.

Les antihistaminiques (AH1) sont souvent utilisés à tort au lieu de l’épinéphrine pour traiter l’anaphylaxie. Ils demeurent des options thérapeutiques de deuxième ou de troisième ligne dans les recommandations sur l’anaphylaxie.23 Les antihistaminiques ne soulagent pas une obstruction des voies aériennes supérieures ou inférieures, un choc ou une hypotension et leur délai d’action varie de 1 à 3 heures.1 L’usage précoce d’AH1 occasionne souvent un retard d’utilisation de l’épinéphrine qui est associé à un risque accru de réaction anaphylactique fatale.24 De plus, l’utilisation des antihistaminiques de première génération à effet sédatif (tels que la diphénhydramine) comporte d’importants problèmes d’innocuité susceptibles d’être liés à une somnolence, une sédation, ou une réaction paradoxale induisant une excitation chez l’enfant.25 Cet effet pourrait en fait masquer une aggravation de l’anaphylaxie en raison de l’action sur le système nerveux central.1 Chez les adolescents et les adultes, les antihistaminiques de première génération ont été associés à un sommeil de mauvaise qualité, une baisse du rendement scolaire ou professionnel, des accidents de la route ou de navigation, une toxicité cardiaque, et ils sont reconnus comme drogues.26 En revanche, les antihistaminiques H1 de deuxième et troisième génération ont beaucoup moins d’effets indésirables et un délai d’action plus rapide que les antihistaminiques de première génération.26

Les antihistaminiques ne devraient jamais être utilisés à la place de l’épinéphrine; s’ils le sont à titre de traitement d’appoint, les antihistaminiques sans effet sédatif sont préférables aux antihistaminiques de première génération. La Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique fait remarquer que les antihistaminiques de première génération ne devraient être utilisés pour le traitement d’une allergie que si cela est absolument nécessaire et a recommandé de les avoir à disposition dans les pharmacies uniquement.26

Bien que des corticostéroïdes oraux soient souvent prescrits, aucune donnée probante n’indique que leur utilisation prévient une réaction biphasique.27,28 En fait, certaines études suggèrent que les stéroïdes oraux peuvent réellement augmenter le risque. Le registre Cross- Canada Anaphylaxis REgistry (C-CARE) a déterminé qu’une corticothérapie préalable à une hospitalisation était associée à un risque accru d’admission aux soins intensifs/à l’hôpital après ajustement pour la gravité de la réaction, le traitement par épinéphrine, le sexe, l’âge et les comorbidités.29 Au cours de cette étude, un total de 3 498 cas d’anaphylaxie, dont 80,3 % étaient des enfants, ont été admis dans 9 services d’urgence au Canada. Un traitement par épinéphrine a été administré à 31 % de cas avant l’hospitalisation, tandis que des antihistaminiques et corticostéroïdes ont été utilisés chez 46 % et 2 % respectivement. L’admission aux soins intensifs/à l’hôpital a été associée à un traitement par corticostéroïdes avant l’hospitalisation (rapport des cotes ajusté, 2,84; intervalle de confiance de 95 % [IC], 1,55, 6,97). De plus, même l’utilisation à court terme de stéroïdes oraux peut avoir des effets préjudiciables chez l’enfant, dont des vomissements, des troubles du sommeil et des changements comportementaux, ce qui a été démontré par une évaluation systématique de trente-huit études, parmi lesquelles 22 essais randomisés et contrôlés (ERC) avec les critères d’inclusion. Les études portaient sur un total de 3 200 enfants chez qui 850 réactions indésirables aux médicaments ont été signalées.30 Les récentes directives de 2020 du groupe de travail mixte sur la prise en charge de l’anaphylaxie déconseillent l’utilisation de corticostéroïdes dans la prévention de l’anaphylaxie biphasique.15

PRISE EN CHARGE DE L’ANAPHYLAXIE DURANT LA COVID-19

La COVID-19 et ses répercussions sur les ressources affectées aux soins de santé ainsi que la réaffectation des services médicaux ont mené à des changements dans les protocoles de soins dans l’ensemble du secteur médical, y compris la prise en charge de l’allergie telle que l’anaphylaxie.31 Avant la COVID-19, si un auto-injecteur d’épinéphrine était utilisé pour le traitement de l’anaphylaxie, il était généralement recommandé de contacter les services médicaux d’urgence (SMU) et de transporter le patient à l’hôpital afin de le surveiller en cas de survenue d’une réaction biphasique.32,33 La COVID-19 a mené à une autre approche consistant en un suivi à domicile (au lieu du recours immédiat aux SMU) lors de l’utilisation d’épinéphrine.34 Selon cette approche, une réaction allergique grave devrait entraîner l’administration d’épinéphrine et une surveillance de la réponse au traitement des patients à leur domicile.34 Si les symptômes se dissipent, le fournisseur de soins devrait être averti sans urgence aux fins d’un suivi de routine. Si les symptômes persistent ou s’aggravent, une seconde dose d’épinéphrine devrait être injectée et le SMU contacté. Un suivi à domicile ne devrait être recommandé qu’aux personnes ayant une compréhension claire de la surveillance de l’anaphylaxie et disposant d’au moins 2 auto-injecteurs d’épinéphrine et d’un bon contrôle des comorbidités telles que l’asthme.34 Le choix de surveiller le patient à domicile ne devrait être fait que dans le cadre d’une prise de décision commune de l’équipe soignante, du patient et de sa famille, après une entente sur les risques et avantages de cette approche.35 Le recours immédiat au SMU devrait rester disponible en cas de doute sur d’autres symptômes allergiques ou d’un manque de confort familial.35 Un algorithme révisé sur l’anaphylaxie a été développé et intègre cette approche de surveillance à domicile durant la COVID-19 (Figure 1).34

Alors que cette recommandation a été conçue spécifiquement dans le contexte de la COVID-19 et le besoin de réduire le risque lié à la contamination par le virus dans les services d’urgence ainsi que le fardeau pesant sur les ressources affectées aux soins de santé, on considère qu’il pourrait y avoir lieu d’envisager cette approche après la pandémie,35 et ce pour des raisons multifactorielles. En premier lieu, il a été démontré que l’obligation de contacter le SMU représentait un obstacle à l’utilisation d’un auto-injecteur d’épinéphrine dans les familles ayant des enfants souffrant d’allergie alimentaire.36 Ensuite, le recours automatique au SMU ne réduit pas la mortalité liée à l’anaphylaxie (seule l’utilisation précoce d’épinéphrine permet de le faire).35 Enfin, le recours automatique au SMU ne s’avère pas rentable (à moins d’un risque très élevé de décès parmi les enfants requérant des soins supplémentaires durant leur admission aux services d’urgence).37

CONCLUSION

Bien que l’anaphylaxie soit relativement fréquente, elle entraîne très rarement le décès. L’épinéphrine est systématiquement recommandée comme traitement de première ligne en cas d’anaphylaxie. Alors que les antihistaminiques sont souvent utilisés à la place de l’épinéphrine, ils ont un rôle secondaire ou tertiaire dans la prise en charge aiguë de l’anaphylaxie. Les antihistaminiques utilisés comme traitement d’appoint pour les symptômes cutanés devraient appartenir aux catégories de deuxième ou de troisième génération sans effet sédatif plutôt qu’à la catégorie de première génération en raison du profil d’innocuité. Bien que les stéroïdes oraux soient souvent prescrits pour prévenir l’anaphylaxie biphasique, on manque de données probantes sur cette approche. Enfin, en raison des répercussions de la pandémie de COVID-19, les recommandations sur la prise en charge de l’anaphylaxie suggèrent l’utilisation d’auto-injecteurs d’épinéphrine et une surveillance à domicile, sans recours automatique au SMU, sauf en cas de mauvaise réponse à l’épinéphrine. Le recours au SMU ne s’est pas révélé rentable et pourrait constituer un obstacle à l’utilisation de l’épinéphrine. L’analyse et le recueil des données sur ce plan modifié d’un traitement de l’anaphylaxie « à domicile » pourraient également mener à une réévaluation à long terme de la prise en charge de l’anaphylaxie après la fin de la pandémie.

Figure 1. Algorithme revu de l’anaphylaxie remplaçant le protocole de prise en charge standard pendant la pandémie de COVID-19; adapté de Casale et al, 2020

Références 

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3. Sturm GJ, Kranzelbinder B, Schuster C, et al. Sensitization to Hymenoptera venoms is common, but systemic sting reactions are rare. Journal of Allergy and Clinical Immunology. 2014;133:1635-1643.e1. doi:10.1016/j. jaci.2013.10.046 

4. Mauriello PM, Barde SH, Georgitis JW, Reisman RE. Natural history of large local reactions from stinging insects. The Journal of Allergy and Clinical Immunology. 1984;74(4 PART 1):494-498. doi:10.1016/0091- 6749(84)90384-1 

5. Golden DBK. Anaphylaxis to Insect Stings. doi:10.1016/j.iac.2015.01.007 

6. Oude Elberink JNG, van der Heide S, Guyatt GH, Dubois AEJ. Analysis of the burden of treatment in patients receiving an EpiPen for yellow jacket anaphylaxis. Journal of Allergy and Clinical Immunology. 2006;118(3):699-704. doi:10.1016/j.jaci.2006.03.049 

7. Golden DBK, Kagey-Sobotka A, Norman PS, Hamilton RG, Lichtenstein LM. Outcomes of Allergy to Insect Stings in Children, with and without Venom Immunotherapy. Vol 12.; 2004. www.nejm.org